Procès des militants Sahraouie
Rapport d'Istambul
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Rapport de France WEYL - Rapport d'Aline CHANU


RAPPORT DE MISSION D’OBSERVATEUR POUR L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES JURISTES DEMOCRATES ET L’ASSOCIATION FRANÇAISE « DROIT SOLIDARITE » AU PROCES D’APPEL DE EL AYOUN (SAHARA OCCIDENTAL) LE 20 /07/ 2006 DE SABBAR BRAHIM, DE HADDI SID MOHAMED MAHMOUD ET DE SON FRERE SALEH


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Par France WEYL – Avocat au barreau de Paris

L’affaire est évoquée dans une audience ordinaire parmi d’autres, et ne sera appelée qu’après une banale affaire d’escroquerie

De fait, cela pourrait paraître normal dans la mesure où les trois sont poursuivis et ont été condamnés pour injures et violences envers les forces de police.

C’est faire abstraction non seulement de la lourdeur anormale des condamnations ( 2 et 3 ans de prison ferme), des conditions particulières dans lesquelles il va s’avérer que les faits se sont déroulés, et du rôle qu’y a joué la personnalité des accusés.

Il faut en effet savoir que Sabbar Brahim est secrétaire général de l’Association Sahraouie des Victimes des Violations Graves des Droits Humains par l’Etat Marocain - actuellement interdite, et que les faits reprochés se seraient produits à leur retour à El Ayoun après la tenue d’une réunion de cette association à Boudjour.

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DEROULEMENT DE L’AUDIENCE
(à laquelle assistent également 3 avocats espagnols venus de Las Palmas)

Saleh, le jeune frère de Haddi étant en liberté conditionnelle, les deux autres entrent dans la salle escortés de 2 gardiens, non menottés, en faisant le V avant leurs doigts, et en lançant des « slogans » en direction de la salle.

Le président commence par l’interrogatoire d’identité, puis l’énoncé des noms des avocats en charge du dossier. Ils sont 6, dont 5 du barreau d’El Ayoun, le 6è du barreau de Guelmim.

Le président donne ensuite la parole aux avocats pour qu’ils développent leurs « questions préliminaires » sur les nullités de procédure pour * absence d’information de la famille de l’arrestation des accusés avant leur 1er interrogatoire ** absence de signature des procès verbaux.

Sur le premier grief, la police et le procureur soutiennent que la soeur a été avisée, mais les avocats expliquent qu’à cette période elle était en Mauritanie, et qu’il faudrait que le procureur explique comment elle a été avisée.

Les avocats de la défense arguent encore de ce que, sous la pression des associations de défense de droits de l’homme, la loi pénale a été changée mais que les nouvelles dispositions, ne sont pas appliquées Ils demandent l’annulation du procès.



Après quelques échanges derrière la main entre les 3 magistrats, le président annonce qu’ils se retirent pour délibérer.

Dans cette première phase, on n’a pas l’impression de tension : sauf quand ils entrent et sortent de la salle, les accusés (qui ne sont pas menottés) sont debout à la barre (et non dans un box) sans véritable réaction. La salle est « tranquille ». Le procureur ne se lève pas pour intervenir, et le président écoute courtoisement, de même que les assesseurs, mais en donnant une impression de total désintérêt, ce qui donne à penser que la Cour va essayer de trouver une porte de sortie en retenant les moyens de nullités ;

Mais les avocats de la défense qui ne semblent pas avoir de grandes illusions me disent qu’il ne s’agit que de sauver les apparences et la suite leur donnera malheureusement raison.

Pendant la suspension, ils m’expliquent leurs moyens de droit et évoquent les conditions d’arrestation et de garde à vue et me disent qu’à part les femmes, la salle est composée exclusivement de policiers, personne d’autre n’ayant pu entrer au palais ; (un interlocuteur m’avait déjà dit le matin qu’il ne pourrait pas entrer pour assister).

Ils soulignent être eux-mêmes soumis à des pressions incessantes (surveillés, harcelés, leurs téléphones coupés). Deux d’entre eux, Me Boukhaled Mohamed, et Me Erguiba Mohamed El Habib, frère du président du Front Polisario,. ont d’ailleurs été détenus pendant de longues années dans des lieux secrets

Me Chellouk Abdallah (avocat du barreau de Guelmine) m’explique qu’il a en cours devant la Cour Administrative d’Agadir, contre la décision d’interdiction de l’ASVDH une procédure qui n’avance pas parce que le Pacha qui doit recevoir le dossier l’a refusé, et qu’une injonction a dû lui être faite par la Cour ;

Enfin les avocats me disent que les violations des droits de l’homme, tortures et violences, dont les sahraouis sont victimes aujourd’hui sont pires que dans les années 70,80.

10H20 REPRISE APRES LA SUSPENSION

Les demandes de nullités sont rejetées et l’examen du dossier reprend sur le fond.

Audition de Haddi Sid Mohamed Mahmoud; Il conteste de manière très « virulente » les accusations, accusant lui même les forces de police d’être une « bande de criminels » qui l’ont arrêté sans raison, en prenant dans son coffre de l’argent. Le Président lit son procès verbal d’audition, d’où il résulte qu’il a détruit ses papiers ; il « explose » en disant qu’il rejette la nationalité marocaine ; il explique que les forces de police l’ont d’abord laissé partir, et que c’est quand il est retourné au commissariat réclamer son argent dérobé qu’il a été arrêté et torturé. A ce moment, il se retourne vers la salle, montre du doigt les policiers qui l’ont arrêté et torturé, et, avec véhémence, raconte manifestement avec force détails et beaucoup d’émotion les tortures dont il a été l’objet et dont sa famille a également été la victime, exclusivement à cause de ses idées

Il explique que c’est à son retour de Boudjour où il était pour l’ASVDH que les policiers l’attendaient.



Le président tente de l’interrompre, en indiquant que c’est à lui de contrôler les débats, que ces propos n’ont rien à voir avec l’affaire,ce qui provoque une intervention de son avocat, Me Chellouk Abdallah avec lequel il débat un moment.

Audition de son frère Saleh ; il conduisait la voiture et conteste avoir franchit le barrage et avoir agressé la police qui était en nombre bien supérieur ; il dit ne pas avoir lu le procès verbal, qu’il a signé avec un bandeau sur les yeux ; le président lui demande comment il a pu écrire son nom avec un bandeau sur les yeux ; il explique en le mimant que la police lui a baissé la tête de force vers la feuille en lui ôtant le bandeau juste pour signer mais qu’il n’a pas pu lire ce qui y était écrit au dessus. Il est interrogé sur le nombre de barrages franchis : 2 à Boudjour sans aucun problème, le dernier à El Ayoun où ils sont attendus et arrêtés ;

Audition de Sabbar Brahim (secrétaire général de l’ASVDH) ; il commence par remercier les avocats de la défense et les observateurs étrangers, puis explique qu’il n’a pas été interrogé,que la police a fait son acte comme elle voulait, qu’ils sont des militants et que c’est la seule raison du procès ; il conteste avoir insulté la police et se dit contre toute forme de violence ; il dit que de toute manière il n’aurait pas eu la possibilité d’agresser qui que ce soit alors qu’il y avait beaucoup de policiers de toutes les sortes (police, gendarmerie, garde) ; il se dit surpris d’avoir constaté qu’il y avait un avis de recherche sur lui alors qu’il n’est pas clandestin.

Les réquisitions du procureur ne durent que 4 minutes (de 10H47 à 10H51) ! pour dire que la cause des arrestations est un franchissement des barrages de Boujdour sans s’arrêter, raison pour laquelle ils étaient attendus à celui d’El Ayoun, qu’il y aurait eu au moins 4 ou 5 victimes chez les policiers ; il demande à la cour de confirmer le jugement.

Me Boukhaled Mohamed plaide l’absence de neutralité des policiers qui à la fois se disent les « victimes » et dressent les procès-verbaux, l’illogisme de l’histoire des barrages, il revient sur la torture dont les accusés ont été victimes et conteste le jugement de 1ère instance, routinier et rendu par des magistrats qui ne sont pas indépendants.

Me Erguibi Mohamed El Habib qualifie le jugement d’acte politique, parle des prisons, où Brahim Sabbar a été 15 ans, et dit que c’est un procès d’opinion.

Me Chellouk Abdallah argue de ce que quand des accusés de leur qualité rejettent la nationalité marocaine et le régime, ils reconnaîtraient les faits s’ils les avaient commis. Il revient avec beaucoup d’éloquence sur les nullités qui viennent d’être rejetées, analyse les témoignages des policiers des 2 barrages de Boujdour, souligne les contradictions des diverses déclarations des uns et des autres. Il appuie le caractère politique du procès sur le fait que l’un des accusés avait sur lui des papiers parlant de la République Arabe Sahraouie Démocratique et que sur le procès-verbal, le policier a ajouté le qualificatif « imaginaire » .

Un 4è avocat accuse la police de se moquer de la justice et des droits de l’homme et exhorte le Tribunal à l’indépendance ; il met en avant l’incohérence entre l’âge des policiers victimes et celle d’un accusé qui a passé 15 ans en prison.

Le 5è avocat analyse la différence de condamnation entre les 2 accusés qui sont des militants connus et qui sont condamnés à de la prison ferme et la condamnation du 3è.

Le 6è avocat parle de la justice arabe, de la justice égyptienne, et dit qu’il est temps que les juges aient le courage de dire non.

Le président ayant donné à nouveau la parole aux accusés, Haddi la reprend avec force, remercie les observateurs étrangers présents, parle de ses vêtements qui lui ont été pris, de la torture, rappelle qu’il est là pour ses idées, et conteste la présence du Maroc au Sahara

On le fait taire et sortir de force ; lui et Sabbar Brahim sortent en faisant le V, avec des paroles et slogans très forts

Il est 11h50, l’affaire a été « emballée » en moins de 2 heures !

Quelques échanges de mots avec les avocats de la défense qui repartent rapidement ; la décision a été annoncée pour être rendue aujourd’hui même, ( ce sera une confirmation pure et simple).

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L’interprète nous emmène ensuite saluer le 1er Président de la Cour d’Appel qui nous reçoit dans son bureau ; échanges de banalités, le Président disant à un moment que son rôle est d’organisation, qu’il n’interfère pas dans les décisions qui sont rendues par les juges, et à un autre que les magistrats et les avocats poursuivent la même voie, sont de la même « famille » suivent la même filière et poursuivent tous le même but : la recherche de la vérité !

Dans la soirée j’apprends que le frère de Brahim Sabbar a été « arrêté », torturé, laissé dans le désert avec une interdiction de séjour à El Ayoun, et que la soeur et le frère de Haddi ont eux aussi été interpellés puis que pour la 3è fois leur véhicule a été mis en fourrière. Il s’agit manifestement de représailles des propos tenus par les accusés à l’audience.

De tout cela j’ai tiré le sentiment 1/ que nous nous trouvions devant la méthode classique consistant à monter un piège policier pour exercer une répression d’apparence de droit commun à des fins politiques, 2/ d’assister à un simulacre de procès traité par la Cour comme une formalité à expédier, d’où l’apparente patience à écouter des accusés et des avocats dont le discours importait peu.

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VENDREDI 21 JUILLET 2006

Des membres de l’Association (française) des Amis de la RASD qui sont à El Ayoun et repartent vers Agadir, me proposent de repartir avec eux jusqu’à Tan Tan où je pourrai reprendre mon bus pour Agadir.

Bien que cela n’entre pas directement dans ma mission, j’accepte car c’est sans doute l’occasion de voir et de témoigner d’autre chose. Je ne le regretterai pas pour ce qu’il m’a été donné de constater d’une incroyable densité de quadrillage policier.

A l’arrivée à Smara, ce sont deux contrôles successifs : l’un de l’armée, l’autre un peu plus loin de la police, qui les uns et les autres vont successivement « recopier » sur un cahier nos passeports, en ajoutant nos professions.

Durant tout le temps de notre attente au 2è poste de police situé directement à l’entrée de la ville, nous verrons passer et repasser un véhicule banalisé, qui ensuite nous prendra en filature dans la ville, mais ce n‘est qu’un début..

Nous visiterons la Ville, particulièrement militarisée, toutes les armes représentées, avec des casernes impressionnantes, sous une surveillance rapprochée de la police qui nous suit partout, sans même prendre la peine de se cacher !

Nous nous rendons ensuite chez une ancienne disparue (Sokayna Jdahlo Sid) , arrêtée en 1976 avec de nombreuses autres femmes, détenue sans procès jusqu’à 1991, sans que personne n’ait eu de ses nouvelles et n’ait su où elle était ; lorsqu’elle a été arrêtée elle avait un bébé au sein qui est décédé rapidement, et elle laissait derrière elle 3 enfants en bas âge.

Dans les jours précédents notre venue, elle a de nouveau été arrêtée, mais sous la pression des gens de la ville pour qui elle est emblématique, elle sera rapidement relâchée.

Mais pendant notre présence, un véhicule de police restera stationné toute la soirée et la nuit, et le lendemain matin nous serons suivis pas à pas y compris dans le marché.

Malgré cette surveillance policière et la tension qu’elle fait planer, la maison où nous sommes reçus ne désemplira pas ; de très nombreux jeunes passent pour nous parler, nous raconter ce qu’ils vivent : il y a un besoin évident de faire passer un message, de briser le silence.

Et quand la question lui est posée des risques qu’elle prend à nous recevoir, elle répond avec ce qui semble être non de la résignation mais de la sérénité qu’elle n’a vraiment rien de plus à craindre que ce qu’elle a déjà vécu.

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SAMEDI 22 JUILLET 2006

Reprenant la route vers Tan Tan, les contrôles policiers seront plus nombreux que ceux de la journée précédente, mais sans grand changement quant à la manière de procéder : on recopie les passeports, on nous demande nos professions et nous sommes suivis.

Mieux : A l’entrée de Tan Tan alors que, au contrôle, nous nous préparons à remettre nos passeports, le policier reçoit un appel sur son téléphone mobile, raccroche et nous dit « c’est une erreur, nous pouvez y aller, nous savons déjà tout » !

Mais à peine arrivés dans la maison où nous sommes attendus, et jusqu’où la police nous a suivis sans même tenter de se cacher, nous apprenons qu’un policier de la DST marocaine interroge le chef de famille Abdi Sid Ahmed Asfari (qui lui aussi est un ancien disparu, arrêté en 1976, libéré en 1991, ses enfants élevés par les grands parents, la mère étant elle décédée sous la torture), sur les raisons de notre présence.



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Je ne puis clore ce témoignage sans évoquer la rencontre avec Ghalia Djimi, femme sahraouie, vice présidente de l’association ASVDH interdite, également victime de disparition entre 1987 et 1991, qui parle remarquablement le français ; avec une très grande pudeur elle passe rapidement sur ses années de bagne dont je saurais seulement qu’elle les a passées les yeux bandés, avec l’interdiction, de parler aux co détenues, et en ayant eu la possibilité de changer de vêtement une fois par an ; je sens qu’elle veut surtout dans le temps très court dont nous disposons me parler du présent et de l’avenir, mais plus encore du présent avec des revendications assez simples et élémentaires : le droit de vivre normalement, le droit que les enfants puissent recevoir une scolarisation normale, le droit d’association et le droit d’expression, l’arrêt des brimades et harcèlements de toutes sortes, l’arrêt des tortures, et des disparitions qui ont recommencé.

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NOTA :

Les dispositions du Code de Procédure Pénale sur lesquelles les nullités ont été invoquées :

* art 27 alinéa 5
le prévenu doit lire ses déclarations et signer à coté de l’OPJ et doit écrire son nom de sa main s’il ne peut pas le faire l’OPJ doit indiquer de manière explicite les raisons qui l’en ont empêché

(Haddi a été torturé et forcé à signer ; Sabbar n’a pas signé)

* article 67
l’OPJ doit notifier à la famille du prévenu sa décision de le placer en garde à vue

la police a prétendu avoir informé la soeur de Haddi et de Saleh ; mais celle ci était en Mauritanie du 16 au 21 juin ; elle a été citée et entendue comme témoin en 1ère instance avec production de son passeport

art 751 CPP sur la notion de nullité absolue


RAPPORT DE MISSION D’OBSERVATEUR POUR L’ASSOCIATION INTERNATIONALE DES JURISTES DEMOCRATES ET L’ASSOCIATION FRANCAISE « DROIT SOLIDARITE » : PROCES DE MILITANTS SAHRAOUIS A AGADIR LE 19 SEPTEMBRE 2006


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Par Aline CHANU – Avocat au barreau de Paris



L’association droit solidarité avait déjà mandaté un de ses membres, France WEYL, pour assister à un procès à El Ayoun de militants de l’indépendance du Sahara Occidental.

Dans son rapport, elle exprime son sentiment « d’avoir assisté à un simulacre de procès » où les juges avaient écouté patiemment les prévenus et leurs avocats mais avaient, en réalité, déjà pris leur décision à savoir, la confirmation des peines prononcées en première instance.

Il me semble que le procès auquel j’ai assisté s’est déroulé de façon différente. Il n’y a eu, de la part des magistrats, aucune simulation afin de donner, en apparence, un aspect équitable au procès.

Quand le procès de El Ayoun a duré 2 heures, celui d’Agadir n’a pas duré plus de 30 minutes !

Les prévenus n’ont pas été en mesure de se défendre et les avocats n’ont pas pu s’exprimer librement, ce qui constitue une violation flagrante du droit de la défense, pilier fondamental de la justice et de la démocratie.

Le lecteur, même non initié aux procédures judiciaires, comprendra à la description que je fais ci-après du déroulement de l’audience que le procès du 19 septembre 2006 n’a pas été équitable.

Je garderai le souvenir d’un procès violent où le mépris des magistrats envers les prévenus et leurs avocats était flagrant et non dissimulé.

J’ai également ressenti l’hostilité des magistrats envers moi et les deux avocates espagnoles (Alicia MUJICA DORTA et Nieves CUBAS ARMAS) ainsi qu’envers Naama ASFARI, militant de la cause sahraouie en France et qui me servait d’interprète.



LES PREVENUS

Le 29 septembre devaient comparaître :
  • TAMEK Mohamed a été condamné le 19 septembre à 4 ans de prison ferme
  • NAJIAA Bachir, condamné à 4 ans ferme
  • KAJOUT Brahim, condamné à 3 ans ferme
  • MANSOURI Driss, condamné à 3 ans ferme
  • WAISSI Elkharchi, acquitté
  • LAFKIR Lahousseine, n’a pas été jugé malgré sa présence dans le dépôt du Tribunal, les juges invoquant le fait que son dossier n’était pas « prêt »,
  • BOUGARAA et BANGA Cheikh qui sont mineurs (15 et 16 ans).
Les prévenus ont été arrêtés par les autorités marocaines en avril 2005 et sont depuis lors en détention provisoire dans une prison de la banlieue d’Agadir.


En ce qui concerne les deux mineurs, ils devaient être jugés à une audience non publique en présence des parents.

Lorsque les avocates espagnoles et moi sommes allées nous présenter à l’adjoint du Premier Président du tribunal d’Agadir (le Premier Président n’étant pas là ou ne voulant pas nous recevoir), nous lui avons demandé la permission d’assister à l’audience des mineurs.

Il nous a répondu qu’il nous donnerait sa réponse après.

A la fin de l’audience publique des autres prévenus, je me suis donc renseignée auprès des avocats pour savoir si nous étions autorisées à assister au procès des deux mineurs.

Il m’ont alors appris que le Tribunal avait décidé de reporter l’audience en invoquant le fait que les parents étaient arrivés en retard !

Or les deux jeunes sont depuis plus de 5 mois en détention provisoire et que les familles étaient bien présentes dans la salle d’audience.

Il est également important de préciser que les prévenus qui ont été jugés à cette audience sont, pour la plupart, des « intellectuels » : l’un était en cours de maîtrise de droit, un autre est diplômé de philosophie, etc.

Comme pour le procès de El Ayoun et comme dans la grande majorité des procès de sahraouis, les faits reprochés aux prévenus sont relatifs à des violences sur les forces de l’ordre, trouble à l’ordre public, etc.



LEURS AVOCATS
  • Hassan BENEMMAN,
  • Shallook ABDALAH,
  • Aantar ELWAFFI,
  • Lahoucine BOUFIM.
Ils sont tous militants de la cause sahraouie (ils défendent les prévenus gratuitement) et à ce titre subissent fréquemment des pressions de la part des autorités marocaines.

Ils vivent principalement au Sahara Occidental.



LE DEROULEMENT DE L’AUDIENCE

Le procès avait déjà été renvoyé deux fois en raison de l’absence des témoins à l’audience ; étant précisé que les témoins sont les policiers qui ont arrêté les prévenus et établi les procès-verbaux.

Les avocats des prévenus m’ont expliqué qu’en réalité les témoins étaient là mais qu’ils avaient eu, de toute évidence, l’ordre de partir dans la mesure où il y avait des observateurs étrangers dans la salle d’audience.

Cette fois ci encore, les témoins n’étaient pas présents lors de l’appel des causes.

Les avocats qui les avaient vus ont alors signalé au Président du Tribunal que l’affaire devait être retenue car les témoins étaient présents et que le procès ne pouvait pas être reporté une nouvelle fois.

D’autres affaires de droit commun sont appelées : les détenus sahraouis seront donc jugés au cours d’une audience traitant de délits de droit commun (vol, etc.).

La salle d’audience est comble de familles marocaines venues pour le procès des autres accusés mais, sont également présents une vingtaine de sahraouis qui sont venus spécialement pour soutenir les prévenus (étudiants, familles, militants).

Les prévenus entrent dans la salle, escortés de policiers. Ils sont en tenue traditionnelle (tunique bleu clair et turban noir sur la tête). Ils entrent faisant le V de la victoire et chantant des slogans politiques.

Immédiatement, le président du tribunal s’énerve et leur dit de se taire.

Le président commence alors à décliner l’identité des prévenus.

Un d’entre eux prend la parole pour dire que ces noms ne correspondent pas à leur réelle identité mais à celle qui leur a été donnée par l’occupant marocain et que le procès qui leur est fait est politique.

Le président lui donne l’ordre de se taire.

Un autre prévenu précise alors au Tribunal qu’ils sont en grève de la faim depuis 13 jours et qu’ils souhaiteraient que leurs droits soient respectés.

Le président l’interrompt violemment et lui dit que ce n’est pas possible qu’ils soient en grève de la faim car ils tiennent encore debout.

KAJOUT Brahim confirme qu’ils sont bien en grève de la faim.

Le procureur prend alors violemment la parole pour dire que ce procès n’est pas politique et que les prévenus par leur comportement troublent l’audience.

Le président décide alors d’expulser les prévenus de la salle alors que les accusations n’ont pas encore été lues et que les témoins n’ont pas été entendus.

Les prévenus sortent donc moins de 15 minutes après leur arrivée. Ils repartent en se tournant vers la salle arborant le V de la victoire.

La salle est silencieuse et il semble que les marocains présents ne comprennent pas ce qu’il se passe (des femmes nous demandent qui sont ces gens et quel est le problème au Sahara Occidental).

Les avocats se lèvent pour dire leur indignation face à cette mascarade de procès et demandent au président de respecter les droits de la défense en faisant revenir les prévenus afin qu’ils s’expriment sur les faits qui leur sont reprochés.

Le président du Tribunal ne veut pas entendre les avocats et leur donne l’ordre de se taire : il a le droit de décider de faire sortir les prévenus.

C’est alors qu’un des policiers dans la salle pointe son doigt dans ma direction en montrant Naama ASFARI, qui était en train de me traduire les propos des avocats, en l’accusant d’avoir pris une photo lors de l’audience.

Nous sommes immédiatement encerclés et Naama se voit contraint de donner son appareil photo et est invité à s’expliquer auprès du Président.

Il explique alors qu’il est venu avec moi afin d’observer le procès et de me faire la traduction. Il mentionne également la présence des deux avocates espagnoles.

Le président s’énerve et nous demande de venir pour justifier de nos identités.

Je lui donne ma carte professionnelle et lui précise que nous nous sommes présentées au premier président du Tribunal et qu’il aurait du être averti de notre présence.

Le procureur semble affecté par notre présence et commence à parler vite en arabe en nous regardant (Naama me dira après qu’il considère que nous sommes venues au procès pour entraver le bon fonctionnement de la justice et que notre présence n’est pas justifiée).

Nous retournons à nos places en mesurant pleinement l’hostilité du Tribunal à notre égard.

Les avocats profitent de cet incident pour reprendre la parole.

Un des avocats interpelle les juges : pourquoi les avez-vous fait sortir ? Vous refusez d’entendre leurs revendications politiques ? Vous refusez d’admettre que ce sont des prisonniers politiques ? Ce sont leurs habits et les slogans qui vous dérangent ? La présence des étrangers vous met mal à l’aise ?

Le président s’énerve.

Un autre avocat de la défense, Hassan BENEMMAN, intervient pour dire qu’il faut un minimum de respect entre les avocats et les juges et que des principes de base comme le droit de la défense ne peuvent être violés impunément.

Le président refuse une fois de plus de faire revenir les prévenus.

Les avocats décident donc de quitter la salle d’audience.

Le président montre un avocat présent dans la salle et le commet d’office pour défendre les prévenus.

Il refuse invoquant le fait qu’il ne connaît pas le dossier.

Le président décide donc que l’audience est suspendue le temps de trouver un avocat. Elle reprendra à 15 heures en l’absence des prévenus pour que les témoins soient entendus.

Les prévenus refuseront d’être défendus par un autre avocat et malgré cela le procès continuera.

Les condamnations seront extrêmement lourdes : 3 à 4 ans de prison ferme et seul un des prévenus sera relaxé.

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Il ressort clairement du déroulement de l’audience que les prévenus n’ont pas eu le droit de se défendre comme ils auraient pu le faire si le procès avait été équitable.

Le droit marocain étant similaire au droit français selon lequel, le président du tribunal lit les accusations puis, le procureur se lève pour faire son réquisitoire au cours duquel il donne la peine qu’il souhaiterait voir prononcée puis, les prévenus et leurs avocats s’expriment et enfin, le tribunal entend les témoins et victimes. Les avocats de la défense et les prévenus peuvent toujours redemander la parole pour s’expliquer après l’audition des témoins et des victimes.

Le procès aurait du se dérouler de la sorte.


Les avocats m’expliqueront par la suite que les procès à El Ayoun se déroulent différemment dans la mesure où le public est composé de militants sahraouis et que le Tribunal est plus habitué à la présence d’observateurs.

Le fait que le procès se déroule en plein Maroc pose problème aux autorités qui ne veulent pas que la population (désinformée) écoute les revendications des sahraouis.

C’est pourquoi le tribunal a décidé d’expulser les prévenus, le plus rapidement possible, sur le fondement de l’article 358 du code pénal marocain qui donne la possibilité de faire sortir les prévenus lorsqu’ils troublent le déroulement de l’audience.

Cet article a été introduit en 2003 dans le code pénal mais, il doit, en principe, être utilisé dans les cas où les prévenus empêchent réellement le déroulement normal du procès et non lorsqu’ils s’expriment normalement au cours de l’audience !